Asadlis Amazigh, la culture à la portée de tous.
Dans un monde ultra connecté, réduit par internet et les nouvelles technologies à un simple petit village où l’information circule librement et instantanément, il est primordial de maîtriser les technologies de l’information afin d’ouvrir de nouveaux horizons à notre culture. Sites, blogs, WebTV, WebRadio ou encore les réseaux sociaux, tous les moyens sont bons pour diffuser du contenu rapidement et largement. Asadlis Umdhin Amazigh, littéralement « bibliothèque numérique amazighe », s’inscrit dans cette dynamique de numérisation de la culture amazighe.
Le début
Quand vous recherchez des livres sur l’histoire et la culture amazighe et (particulièrement) chaouie, vous êtes rapidement confronté à la rareté des références sous format numérique. De plus, ces e-book sont dispatchés sur plusieurs sites, blogs, (etc.) Parfois, pour les télécharger, il faut passer par des plates-formes de téléchargement qui monnaient leurs services ou bien qui sont infestées de publicité et de programmes malveillants. Ce parcours du combattant finit généralement par refroidir l’enthousiasme des plus motivés d’entre vous.
L’idée de Asadlis-Amazigh était, dans un premier temps, de collecter et de regrouper tous les livres numériques dans un unique endroit, facilitant aux intéressés, le travail de recherche, de consultation et de téléchargement des livres. En somme, une véritable plate-forme éducative sécurisée, proposant des ouvrages électroniques relatifs à notre culture.
C’est ainsi que la première version de Asadlis-Amazigh voit le jour, début 2013, après des mois de travail divisé entre la collecte des livres numériques et la réalisation du site. La bibliothèque amazighe comportait à l’époque quelque 100 livres disposés dans trois sections :
- La première en Amazigh, totalement écrite en tifinagh, elle comporte les livres écrits en langue Amazighe.
- La deuxième en arabe, pour présenter les livres écrits en langue arabe.
- La dernière en langue française, où sont répertoriés tous les ouvrages édités dans cette langue.
Asadlis-Amazigh est dédié à feu Ammar Negadi, personnage important du militantisme amazigh dans les Aurès. Ami de mes parents, je l’ai connu quelques années avant son décès. En effet, Ammar voulait créer et diriger une bibliothèque publique et gratuite à Batna, où ses 1 500 livres constitueraient le fonds de départ. En 2005, il recherchait local au centre-ville afin de faciliter son accès aux jeunes défavorisés, nombreux dans la ville. Malheureusement, la mort l’a surpris et elle a été plus rapide que ses projets. Asadlis Amazigh est, en quelque sorte, la réalisation des souhaits de Ammar Negadi, qui étaient de mettre gratuitement et à la disposition du plus grand nombre une bibliothèque de partage et de diffusion de la culture. Le site était également dédié au département de Tamazighth fraîchement crée -à l’époque, 2013- à l’université de Batna, pour faire face au manque cruel de références sur le sujet au sein de la bibliothèque universitaire et aider les jeunes étudiants dans leurs travaux de recherche.
La rencontre avec Djemaa Djoghlal
Fin 2014, j’ai rencontré Djemaa Djoghlal, une militante que je connaissais par ses articles et ses publications dont certaines étaient réalisées en partenariat avec Ammar Nagadi, notamment sur le site : AuresChaouia.free.fr (Premier site chaoui, crée et administré par Abderahmane Bouali). Avant son décès, Ammar Negadi, avec l’accord et en présence de ses quatre enfants, avait chargé Djemaâ de réaliser ses projets en emmenant, malgré tous les obstacles, ses livres à Batna. En octobre 2012, elle prend contact avec le Recteur de l’Université de Batna, pour proposer le fonds de Ammar à la bibliothèque universitaire, il serait conservé pour toujours et il serait accessible au plus grand nombre d’étudiants sur une plus longue période. Elle-même avait constitué, durant 30 ans, une bibliothèque personnelle de plus de 4000 ouvrages concernant l’histoire, l’anthropologie, l’archéologie et la sociologie ayant trait à la région des Aurès, ainsi qu’une partie se rapportant à la littérature algérienne et nord-africaine en général. L’accueil positif de Monsieur le Recteur et des deux Vices Recteurs de l’époque a motivé Djemaâ pour joindre sa collection de livres sur les Aurès, ainsi que ceux concernant la Révolution algérienne (1500), des journaux de cette époque (entre 300 à 400) et des documents d’archives historiques (plus de 400).
Malheureusement, la complexité de l’administration algérienne et l’enclavement de Batna ont compliqué la réalisation de ce projet reliant les deux fonds. Les complications administratives qui durent depuis novembre 2012, si elles furent des handicaps pour la réalisation, elles furent l’occasion à saisir pour enrichir le projet de Asadlis-Amazigh. Voulant « profiter » de ces blocages administratifs, j’ai présenté à Djemaa le site Asadlis-Amazigh et lui ai demandé son accord afin de sauvegarder numériquement quelques livres rares, tirés de sa collection privée qu’elle conserve ou du lot destiné à l’Université de Batna. Le but étant de les scanner pour en préserver des copies numériques susceptibles d’être proposées au grand public via Asadlis-Amazigh, avant que ces livres n’arrivent dans l’espace restreint auquel ils sont destinés. Djemaa a tout de suite accepté l’idée, surtout, que Asadlis-Amazigh rendait hommage à Ammar, avec qui elle avait milité et porté le projet de dons. Ayant son accord, il fallait trouver le moyen technique le plus professionnel pour scanner les livres choisis dans un format adapté aux attentes des lecteurs. Pour cela, il me fallait de l’argent, beaucoup d’argent !!!
Thwiza, la solidarité sur le net
Début de l’année 2015, j’avais lancé avec mes amis -avec qui nous créerons plus tard le site Inumiden.com-, un appel aux dons sur les réseaux sociaux qui fut un succès total. En effet, c’était la première Twiza, ou appel à la solidarité, en son genre lancé sur Facebook, elle visait à collecter de l’argent pour acheter le matériel nécessaire pour la numérisation. Cette opération a suscité un engouement sans précédent, dans un véritable élan de solidarité, des dizaines de personnes à travers le monde, Algérie, France, Suisses, Royaume-Uni et Canada ont répondu à notre appel, chacun selon ses moyens allant de 5€ à 1000€ (versés par un habitant du Canada et qui souhaite garder l’anonymat). Les sommes récoltées ont été au-delà de nos espérances, en fait, nous avions fixé, lors de notre appel aux dons, la somme de 1500€ pour l’achat d’un scanner dernière génération + PC pour le traitement des livres + accessoires de stockage… et nous nous sommes retrouvés avec plus de 2100€, et cela malgré notre annonce de fin de collecte. Des donateurs ont continué à nous contacter pour savoir s’ils pouvaient encore contribuer financièrement. Cet appel aux dons m’a permis de comprendre que malgré les difficultés financières, il y a des gens prêts à s’engager financièrement pour contribuer à la réalisation de projets, jugés porteurs pour notre culture.
Travaux de numérisation
Le temps nous était compté, à tout moment, Djemaa pouvait recevoir le feu vert pour envoyer les livres en Algérie et le projet risquait de tomber à l’eau à tout moment. J’ai pris mes congés, j’ai procédé à l’achat du matériel et me suis déplacé plusieurs fois à Paris pour rendre à Djemaa les ouvrages scannés et en chercher d’autres. On avait établi une liste des livres les plus importants et les plus rares, quelques-uns ayant une valeur marchande de plusieurs centaines d’Euros, à cause de leur ancienneté donc de leur rareté. Certains relèvent du domaine public et seront donc directement publiés sur ce site, d’autres sont encore protégés, nous les avons sauvegardés pour le jour où ils pourront être publiés sur Asadlis-Amazigh.
Chaque livre nécessitait en moyenne une dizaine d’heures de travail, entre le scan et le traitement numérique post-scan pour le mettre dans un format e-book. Au total, après plusieurs mois de travail acharné et d’efforts consentis, 236 livres ont été sauvegardés pour être mis à la disposition du grand public. Il s’agit essentiellement d’ouvrages historiques, archéologiques, récits de voyages et études sociologiques et linguistiques, mémoires … qui concernent la région des Aurès et toute l’Afrique du Nord en général.
Et maintenant…
La nouvelle version 3.0 de Asadlis-Amazigh vient de voir le jour avec son lot de nouvelles fonctionnalités, offrant une meilleure expérience utilisateur quel que soit le support utilisé. Cette version verra petit à petit, l’ajout des nouveaux livres issus de la bibliothèque de Djemaa, du moins ceux qui sont dans le domaine public. L’argent récolté a servi à l’achat du matériel nécessaire pour le projet et sert à financer le site (payer l’abonnement et les différents services).
Asadlis-Amazigh est une bibliothèque destinée à tous les amoureux de la culture amazighe, il leur appartient de l’enrichir avec des ouvrages en leur possession et que nous sommes en droit de publier. Certains d’entre vous ont compris ce concept et ont déjà commencé à scanner des livres de leurs bibliothèques pour me les faire parvenir.
En ce qui concerne le matériel acheté, il continuera à servir le projet Asadlis-Amazigh. La prochaine étape, c’est de scanner une bonne centaine de livres de la bibliothèque privée de mon père, Saci ABDI, une autre grande figure du militantisme identitaire dans les Aurès et chercheur en culture et histoire amazighe. La liste des livres n’est pas encore clairement établie, mais nous savons déjà qu’il y aura beaucoup de livres inédits et surtout des livres qui sont du domaine public. Ce matériel pourra ensuite servir à qui que ce soit disposant d’un fonds de livre à scanner.
Je tiens énormément à remercier toutes celles et tous ceux qui ont fait de ce projet une réussite ;
- Djemaa Djoghlal, pour la mise à disposition de sa bibliothèque, ses conseils et ses encouragements.
- Tous les contributeurs, tous ceux qui nous ont fait confiance en nous confiant leur argent, quel qu’en soit le montant versé.
- Mes frères, avec qui on forme l’équipe Inumiden, Jugurtha Hannachi, Nadjib Yahia et Fouad Gasmi. Pour le lancement de l’appel de collecte d’argent, leur aide et leurs encouragements.
- Pour ma mère, Yemmes n w-awres, sur qui repose la traduction intégrale de Asadlis-Amazigh dans sa version amazighe (tifinagh), son soutien et ses encouragements.
- Pour toutes celles et tous ceux qui ont pris l’initiative de me proposer des e-book ou des livres scannés afin de les ajouter à Asadlis-Amazigh.
Toutes celles et tous ceux qui m’ont soutenu et encouragé pendant la réalisation de ce projet.
Bassem ABDI